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programmes de l' éducation nationale

  • Pour passer le bac, il faut et il suffit de savoir crier : « vivent les grèves ! »

    On a souvent montré le caractère partisan des programmes et des manuels scolaires en histoire et en économie. En économie, une commission présidée par l’indiscutable Roger Guesnerie, professeur d’économie au Collège de France, a longuement analysé les manuels, et montré que « l’économie » qu’on y diffuse n’a pas grand chose à voir avec la réalité et la science.

     

    L’entreprise, par exemple, y est « le lieu de l’exploitation des salariés », nullement le lieu de la création d’emplois et de la production de richesse. L’un des sujets du baccalauréat 2013 illustre caricaturalement ce biais militant qui s’assume : « A l’aide de vos connaissances et du dossier documentaire [joint] vous montrerez que les conflits sociaux peuvent être un facteur de cohésion sociale ». Pour passer le bac, il faut et il suffit de savoir crier : « vivent les grèves ! ». On dira que ces présentations politisées sont le propre des sciences humaines, mais qu’on ne les rencontre pas dans les sciences dures. Est-ce bien le cas ? On a cherché à savoir ce que les manuels de Sciences de la Vie et de la Terre disent de la transition énergétique, thème au programme des classes de 3ème et de seconde – étant entendu que les manuels ne sont que le reflet des programmes de l’ Education Nationale.

    Les six manuels consultés sont totalement manichéens. On croirait lire des ouvrages soviétiques présentant le capitalisme et le socialisme. D’un côté, le mal : les énergies fossiles. De l’autre, le bien : les énergies renouvelables. Les énergies fossiles ont tous les défauts : « leur épuisement est prévisible dans un bref délai, et leur utilisation produit de grandes quantités de CO2 qui accroissent l’effet de serre responsable du réchauffement climatique ». Les énergies renouvelables ont toutes les qualités. La conclusion s’impose : il faut préférer le bien au mal. « Le défi énergétique : du non renouvelable au renouvelable » : ce titre du chapitre consacré au sujet par un manuel résume bien le message envoyé par tous. Selon une technique classique, les illustrations compensent les faiblesses de l’argumentation : la photo de magnifiques éoliennes dans une campagne verdoyante est accolée à la photo de vilaines torchères dans un paysage gris.

    Il y a bien entendu du vrai dans ces affirmations. C’est le propre de toute propagande efficace. Les ouvrages soviétiques opposant les crises et le chômage du système capitaliste à l’absence de crise et de chômage du système communiste disaient vrai également. Les photos de queues devant la boulangerie Poilane publiées dans la Pravda n’étaient pas truquées. Mais on peut aussi mentir par omission. Et on trouve dans nos manuels beaucoup de silences, d’à-peu-près, et même d’erreurs.

    Rien, ou des sottises, sur le coût de ces merveilleuses énergies renouvelables. L’éolien est « économiquement bien placé ». « L’énergie solaire est gratuite ». Pourquoi alors les producteurs exigent-ils que les réseaux (et donc les utilisateurs ou les contribuables) achètent cette électricité-là deux, trois et jusqu’à dix fois plus cher que la méchante électricité conventionnelle ? Voilà un gratuit bien coûteux.

    Rien sur le nucléaire. Il assure 75 à 80% de la production d’électricité française. Mais puisqu’il n’est ni épuisable ni polluant il ne trouve pas sa place dans la dichotomie assénée. Embarrassant, à glisser sous le tapis, afin de ne pas perturber la doctrine.

    Rien sur le fait que la salvatrice énergie solaire et éolienne prend la forme de l’électricité ; que l’électricité ne se stocke pas ; et que l’électricité solaire et éolienne est intermittente et imprévisible. Le solaire ne fonctionne que lorsqu’il y a du soleil, c’est-à-dire dans les journées sans nuages, soit moins de 15% du temps. Ne comptez pas sur lui pour regarder la télévision les soirs d’hiver, jamais. L’éolien ne vaut guère mieux. Il fonctionne le quart du temps. Avec lui vous regarderez la télévision un soir sur quatre, mais sans savoir à l’avance lequel. Dire qu’il « alimente la consommation électrique de 10 millions de personnes » est un abus de langage. Il doit s’agir de personnes qui n’aiment guère la télévision, et qui n’ont pas peur de devoir souvent s’éclairer à la chandelle. Là encore, ces considérations troubleraient le credo que les manuels véhiculent. Elles pourraient conduire les élèves à réfléchir, à poser des questions, à douter peut-être. A éviter.

    Certains diront que ces questions sont trop complexes pour des ados de 14 ans. Peut-être. Mais alors pourquoi donc les mettre au programme ? Si les questions de PISA portaient sur le politiquement correct, la France n’y serait pas aussi mal classée.

    Rémy Prud’homme
    Prof. Emeritus, Univ. Paris XII