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« Les droits de succession : un impôt à supprimer »

 

 

Emmanuel Macron, le ministre de l’Economie, vient de déclarer à une revue des assurances que la fiscalité du capital ne serait pas « optimale », tout en ajoutant : « Si on a une préférence pour le risque face à la rente, ce qui est mon cas, il faut préférer par exemple la taxation sur la succession aux impôts de type ISF ». Les commentaires se sont focalisés sur l’ISF, cette Incitation de Sortir de France qui constitue aujourd’hui en Europe l’un des rares impôts sur la fortune encore en vigueur. En revanche, ils ont délaissé la sortie sur les droits de succession, comme s’il était normal de taxer les méchants « rentiers ». Or, l’impôt sur les successions est aussi illégitime et néfaste que l’ISF.

Rappelons que les droits de succession étaient faibles et proportionnels jusqu’à la loi du 25 février 1901 qui instaura, sous la férule de Joseph Caillaux, la progressivité. Comme presque toujours avec les nouveaux impôts, le taux initialement faible grimpa en quelques années, en l’occurrence à 40 % en ligne directe pour le taux le plus fort, avant de diminuer à 15 % au début de la Ve République. L’arrivée des socialistes au pouvoir aboutit à un retour au taux de 40 % en 1983.

Aujourd’hui les barèmes s’étalent de 5 à 45 % en ligne directe suivant le montant de la succession, et ils s’élèvent même à 45 % entre frères et sœurs et de 55 à 60 % pour les autres successions entre parents...

La droite, pourtant au pouvoir à de nombreuses reprises depuis 1986, n’a rien fait pour diminuer ces taux confiscatoires. La seule réforme à la marge fut à mettre au crédit de Nicolas Sarkozy en 2007. L’abattement personnel en ligne directe fut haussé de 50.000 € à 150.000 € sous les quolibets de la gauche. « Vous vous mettez à plat ventre devant les riches ! », s’étrangla un député communiste lors des débats parlementaires, tandis qu’un député vert osa : « Vous avez inventé un nouveau slogan : c’est gagner plus sans travailler ! ».

L’une des premières mesures de François Hollande en 2012 fut d’abaisser l’abattement personnel en ligne directe à 100.000 €. Hervé Mariton avait alors protesté à l’Assemblée : « Vous n’aimez pas la famille ». Il eût pu ajouter : « vous n’aimez pas l’individu ». En effet, aux fondements de l’impôt progressif sur les successions, il y a l’idée que les fortunes ne doivent pas se transmettre facilement, sauf à accroître les inégalités. A l’argument égalitariste et démagogique s’ajoute depuis quelques années un argument utilitariste : les inégalités trop profondes nuiraient à la croissance économique.

En 2012, le candidat Sarkozy entendait exonérer 95 % des Français pour ce qui concernait les droits de succession et de donation. Il argüait : « Quand on a travaillé dur toute sa vie, qu’est-ce qui donne du sens à la vie ? C’est de faire que ses enfants commencent un peu plus haut que soi-même on a commencé. Eh bien, je ne vois pas pourquoi on devrait payer des impôts sur les successions ou les donations ! » En réponse à une pétition d’Alternatives économiques, il ajoutera plus tard : « Qualifier de rentiers toutes ces familles qui n’ont fait que travailler toute leur vie, payer des impôts sur les revenus, et dont le seul tort est de préférer laisser quelque chose à leurs enfants plutôt que de consommer eux-mêmes est tout simplement injuste et insultant ». Certes, mais dès lors pourquoi prévoir une exonération de 95 % et non pas de 100 % des Français ?

Qu’il s’agisse de l’ISF, de l’impôt sur le revenu ou de droits de succession, demeure l’idée que c’est l’Etat qui, en réalité, est propriétaire des revenus ou du patrimoine des individus et qu’il consent dans sa grande générosité à nous en laisser une partie. Le problème n’est donc pas de préférer les droits de succession à l’ISF ou l’inverse, mais de supprimer tous ces impôts illégitimes.

La condamnation la plus profonde de la règlementation des droits de succession a sans doute été prononcée par Alexis de Tocqueville dans De la démocratie en Amérique (II, IV, V) : « Après avoir régenté la vie entière, l’Etat veut encore en régenter le dernier acte ». 170 ans plus tard, nous en sommes toujours au même point.

Jean-Philippe FELDMAN
Professeur agrégé des Facultés de droit
Maître de conférences à Sciences Po
Avocat à la Cour de Paris

 

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