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La manipulation des médias à la botte du système républicain .

 

L’information mondiale, je veux dire la formation des futurs citoyens du monde, a fait cette année de grands progrès, non que l’on ait vu naître des méthodes de tromperie, d’abêtissement et de propagande radicalement nouvelles, mais les anciennes sont poussées à un degré tel qu’elles s’en trouvent renouvelées, qu’elles changent pour ainsi dire de nature.

Prenons l’accident de Puisseguin. Chacun s’accordera à le trouver malheureux et plaindra tant les victimes que leurs proches. Les media de l’État et leurs cousins du système hors État lui ont donné une résonance que l’on réservait hier aux grandes catastrophes nationales, aux heures graves de l’histoire, et la posture de François Hollande en Gironde copiait à peu près celle de Winston Churchill aux communes et de Paul Reynaud à Notre-Dame à la fin du printemps 1940. Cela n’est pas absolument neuf, nous avions déjà vu Hollande, Merkel et Rajoy gravir les pentes des Alpes provençales pour s’incliner ensemble sur les restes des passagers de l’avion de la Lufthansa volontairement précipité sur un pic par son copilote. Tout y était, le faste grave de l’État, la majesté des hauts grades, la pompe laïque, et cette fantaisie débridée dans la manière de raconter l’histoire, les antécédents de l’aviateur, son déséquilibre, le pourquoi du comment qui avait empêché sa compagnie de l’interdire de vol, la scène du commandant de bord tentant vainement de défoncer la porte à la hache, ses dernières paroles enregistrées par la boîte noire. Un scénariste de film catastrophe n’aurait pas fait mieux.

Cet impeccable story telling et le grand rassemblement sentimental autour des autorités endeuillées signalaient déjà plusieurs phénomènes de fond coïncidents et convergents. D’abord, une modification des fonctions régaliennes de l’État : autant il n’est plus du ressort du ministre de l’Intérieur de maintenir l’ordre dans les banlieues, autant il doit maintenant soutenir le moral des Français après un accident de transport, et, quand le cas est grave, c’est au président d’assurer le suivi psychologique nécessaire. Ensuite, un changement de ton, j’allais dire de genre, sinon de sexe, du pouvoir : abandonnant les méthodes brutales aux dictateurs guerriers d’hier (dont Poutine, Assad et Kim Jong-un sont les dernières traces, les ultimes reliquats fossiles), le pouvoir affecte aujourd’hui des douceurs de nounou pour asservir ses ouailles, c’est le règne de l’Etat-mère. Enfin, parallèlement à tout cela, un changement de de point de vue des media, qui accompagne, indique et accentue les changements politiques décrits plus haut : on pourrait le nommer « fait diversisation » de l’actualité. Hier les rubriques reines d’un grand quotidien étaient la politique étrangère suivie de la politique intérieure, c’étaient elles qui provoquaient controverses et bagarres. La “société” n’arrivait que très loin derrière, sauf dans le populaire toujours assoiffé de grand guignol et de crime passionnel ; quant à la météo, elle voisinait les mots croisés. Aujourd’hui, tout est chamboulé, le climat tient le premier plan, avec le grand devoir de sauver la Nature, la Terre mère, l’Environnement-victime qui prime sur l’homme prédateur, et, tout de suite après viennent les faits divers dans les transports.

De ce point de vue, Puisseguin est moins mondial mais plus parfait que l’Airbus de la Lufthansa, car c’est un accident de bus, il entre dans la catégorie insécurité routière, si chère à la place Bauveau, si propre à brouiller les esprits et à intimider les propriétaires de permis de conduire. On atteindra à la perfection le jour où le président suivi des corps constitués au complet mènera une cérémonie de repentance à la mémoire des chiens écrasés : l’automobile et les animaux seront partie prenante, le chauffard à traire et l’environnement à vénérer. Les prêtres de la nouvelle morale pourront à loisir prêcher et sur la dangerosité de l’homme et sur le droit du vivant. On s’en régale à l’avance.

J’ai parlé plus haut du populaire et de son goût supposé futile pour les faits divers, que lui reprochaient en ne celant pas leur mépris les Norpois et les Blum. A mesure que les cénacles de Paris, Londres, New-York ou Berlin s’éloignent des cafés concert, fanfares, mâts de cocagne, disputes de préau, qui faisaient l’attrait de la démocratie, il faut que quelque chose vienne combler le béant abîme qui les sépare toujours plus du peuple. Et cette chose, c’est la pédagogie. Chaque fois que l’un des partis du système échoue dans un projet qu’il n’avait pas vraiment entrepris et que, las des promesses, les électeurs lui mettent une claque, il s’exclame, affectant mal la contrition : nous avons manqué de pédagogie. Cela signifie : notre propagande ne prend plus, il va falloir inventer autre chose sans que le peuple ne l’évente trop vite. Tout l’effort de la démocratie d’aujourd’hui est donc d’amener à elle par des paroles sédatives un peuple qui hait ce qu’elle produit, de l’anesthésier le temps de le tuer. Voici comment elle s’y prend.

Il faut d’abord lui en imposer. Il y a des spécialistes de la chose, des spécialistes de ce que l’on appelle le discours intimidant. Inutile de parler latin ou grec, quelques mots de faux anglais, un bon peu de jargon de diverses sciences humaines suffisent. Peu importe au fond le contenu, c’est le ton et la posture qui comptent, il faut faire péremptoire et comminatoire, pontifiant, abscons, ennuyeux, insupportable et incompréhensible, sauf la conclusion qui doit énoncer en mots vernaculaires les slogans du système. Le Monde excelle à cet exercice, quelques émissions télévisées ou radiophoniques aussi. Ils sont nécessaires à la tranquillité docile du populaire, qui pourtant ne les lit ni ne les écoute presque pas, mais sait qu’ils existent. Devant eux, il enlève son bonnet, se sert une Kro et se met rasséréné à regarder la coupe du monde du moment : il fait confiance aux spécialistes. Les ilotes demi- cultivés qui diffusent la vulgate politiquement correcte agissent à peu près de même, sauf qu’ils font semblant de comprendre la propagande dont ils sont la cible avant d’en devenir le vecteur.

Mais le peuple a besoin de pain et de jeux, d’entertainment comme on dit à Hollywood, de Benzema et de Nagui, de Koh Lanta et de On n’est pas couché, de Yannick Noah et de Patrick Sébastien. Le goût de cette soupe, naturellement, est le même que celui du discours intimidant. People, sportifs et histrions autorisés répètent la même chose que les anthropologues estampillés ou les sociologues recommandés par l’INSEE. Mais il faut amuser un peu le populo, de sorte qu’il ne se détourne pas du spectacle. Dans ce cas là, on range Yannick Noah et l’on sort Patrick Sébastien. Il est grossier et vulgaire à souhait, il capte l’attention et se permet parfois un petit dérapage par rapport à la stricte doxa. Le public bat des mains, ravi : ça, c’est envoyé ! Naturellement l’écart est exactement calculé — suffisant pour que, par une énième controverse, on répète encore une fois au public que les propos tenus sont inacceptables et que sa propre joie est peccamineuse ; pas trop fort, pour ne pas franchir les bornes du nauséabond.

Parfois cependant on a l’impression que tout n’est pas parfaitement maîtrisé. En soutenant Nadine Morano par exemple, Alain Delon me semble être allé trop loin. Mais il a quatre-vingts ans, ce fut une star mondiale, sa génération va passer, en attendant, il n’est peut-être pas mauvais de le laisser parler pour le montrer du doigt aux jeunes et récupérer les vieux pour les prochaines élections. C’est une soupape de sécurité, comme Onfray, Finkielkraut, Tesson, Zemmour. Ils disent certaines vérités sur la gauche, sur l’islam, mais respectent le grand tabou, même si on peut se demander, pour le dernier, si cela ne le démange pas de faire le spectacle en mangeant le morceau d’Auschwitz. Pour l’instant il n’a pas reçu le feu orange du Grand Sanhédrin. Ça va peut-être venir après la récente sortie de Netanyahou et les reconnaissances prudentes de Jacques Attali, ce poisson-pilote du monde de demain .

 Hannibal.

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